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S.J Perelman, tout simplement

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Jonas Ayache @ayache46

S.J Perelman
Last updated: February 11, 2025

Dans l’Amérique des années 50, un père de famille confortablement installé dans son canapé savoure son New York Times quotidien, une pipe à la main. L’instant est parfait, suspendu entre la chaleur du tabac et la quiétude du salon, jusqu’à ce qu’un éclat de rire vienne rompre l’harmonie. La pipe lui échappe, roule sur le tapis, et en se penchant pour la ramasser, il découvre avec effroi une tache. Une catastrophe domestique en apparence anodine, mais dont il sait qu’elle ne sera jamais pardonnée.

Un demi-siècle plus tard, une jeune infirmière lit à un patient alité. Perfusé, il écoute, la respiration calée sur le bip monotone de l’électrocardiogramme. La lecture suit son cours, le silence médical demeure, jusqu’à ce qu’un tressaillement de l’appareil la fasse lever les yeux. Sur le visage fatigué du malade, un sourire. Et dans un souffle, un murmure : « Mon père riait aux mêmes blagues… Il en a même tâché un tapis ! »

Quel est le point commun entre ces deux hommes ? Ils ont ri aux écrits de S.J. Perelman.

#L’humour comme art exigeant

Avec une plume d’une précision chirurgicale, Perelman sait exactement où nous « chatouiller » pour déclencher le rire. Adulé par Woody Allen et bien d’autres, il est l’un des plus grands humoristes de son époque. Pourtant, en France, il demeure un inconnu. Pourquoi ? Plusieurs raisons, plus ou moins évidentes, expliquent cette injustice.

D’abord, il est américain. Ensuite, l’humour européen des années 40 s’est émoussé : après tant de bombes, les Français avaient d’autres préoccupations que les tartes à la crème. Enfin, ses nouvelles furent principalement publiées dans The New Yorker, vénéré outre-Atlantique mais aussi populaire en France que Le Journal de Mickey.

Mais la raison principale, selon moi, tient à la nature même de l’humour.

Écrire est en soi un défi. Bien écrire, une gageure. Mais écrire de l’humour peut revenir à s’élancer dans le vide avec une pierre au cou. Car si le rire est universel, il n’est pas sur commande. Ce qui fait s’esclaffer l’un laissera l’autre indifférent, chaque sensibilité comique étant façonnée par la culture, le genre, l’éducation, le milieu social… Autant de filtres qui transforment chaque tentative d’humour en pari risqué. À chaque phrase, l’écrivain humoriste joue son va-tout, appuyant sur la détente d’une roulette russe, sans jamais savoir si son trait fera mouche ou tombera à plat. Son succès dépend donc autant de son talent que de l’état d’esprit de son lecteur. Et gare à l’échec, car il ne souffre ni nuance ni indulgence : un simple et implacable « Je ne trouve pas ça drôle » suffit à le condamner.

Dorothy Parker, dans la préface d’Un Pékin en Afrique, souligne que l’humour exige une bonne dose d’insouciance. Mais aussi une certaine arrogance : croire que l’on détient la recette du rire est une prétention qui flirte avec la témérité. Et même lorsqu’un écrivain parvient à décrocher le Graal du comique, un autre piège le guette : la répétition. Beaucoup finissent par recycler les mêmes blagues, les mêmes caricatures, les mêmes ficelles. Ce qui était percutant devient attendu, ce qui faisait rire finit par lasser.

Heureusement, Perelman échappe à ce travers.

#Une plume virtuose

Son style volubile et généreux regorge d’inventivité. Il jongle avec l’absurde, l’autodérision et la satire avec une agilité inégalée. Tous à l’Ouest !, publié en 1947 en collaboration avec le dessinateur Hirschfeld, en est l’exemple parfait : un tour du monde qui vire à la comédie burlesque. Le tourisme y rime avec whisky, l’exploration avec fourberie. Perelman, d’une mauvaise foi exquise, se décrit lui-même comme ayant davantage l’air d’un revendeur d’héroïne que d’un aventurier.

Son arme favorite ? L’exagération. Vantardise outrancière, aveux de lâcheté, détails grotesquement amplifiés : c’est ce contraste entre la finesse et l’absurde qui le rend irrésistible.

#Un héritage à redécouvrir

C’est donc avec un enthousiasme débordant que j’ai voulu partager Tous à l’Ouest !. Pourtant, l’accueil fut plus tiède que prévu.

Un lecteur m’a confié avoir eu du mal à entrer dans l’univers de Perelman. Trop de personnalités américaines citées lui étaient inconnues. Et je ne pouvais que comprendre : certaines références culturelles, ancrées dans leur époque, nous échappent, nous privant ainsi d’une part du plaisir.

Mais au-delà de ces réserves, je vous encourage à plonger dans ce monde burlesque et irrévérencieux. Si vous cherchez un antidote à la morosité, Tous à l’Ouest ! saura mettre vos zygomatiques à rude épreuve.

J’ai volontairement laissé de côté d’autres aspects de son œuvre : sa collaboration avec les Marx Brothers, son Oscar du meilleur scénario pour Monnaie de singe, son adaptation du Tour du monde en 80 jours. Mais j’espère vous avoir donné envie de découvrir un maître du comique, disparu en 1979 à l’âge de 75 ans.

Ne sortons pas trop vite les mouchoirs, car qui sait ? D’autres auteurs aussi talentueux et prolifiques existent peut-être aujourd’hui. À nous d’ouvrir l’œil, car « l’Histoire, décrite comme une ‘inconstante traînée’ par Carlyle – non pas Thomas, mais Gus, le gérant de la salle de billard de Perkasie en Pennsylvanie – a une manière toute particulière de se répéter. »